Terrorisme : vers une guerre des drones dans le Sahel

Pour mieux combattre les jihadistes, les États-Unis et la France vont déployer au Niger des appareils armés, des drones, qui pourront frapper du lac Tchad au Sud libyen. Appris par Jeune Afrique, ces engins suscitent des critiques…

Leur mort avait provoqué une onde de choc à Washington. Le 4 octobre, quatre membres des forces spéciales américaines et quatre militaires nigériens étaient tués dans une embuscade près du village de Tongo Tongo, dans le nord de la région nigérienne du Tillabéri, à quelques kilomètres de la frontière avec le Mali. Pour la première fois, des soldats d’élite américains étaient tués en opération dans un pays sahélien, où nombre de leurs compatriotes ne savaient même pas qu’ils étaient déployés.

Dans la foulée, certains faucons du Pentagone ont assuré qu’ils allaient renforcer leur engagement au Sahel, où ils redoutent une réorganisation des combattants de l’État islamique et d’Al-Qaïda depuis leurs récents revers en Irak et en Syrie. Ces déclarations ont rapidement été suivies d’effet. Fin novembre, des responsables militaires américains ont annoncé que les autorités nigériennes avaient accepté l’armement de leurs drones Reaper basés dans le pays. Jusqu’ici utilisés comme un moyen de surveillance aérienne, ils pourront désormais éliminer n’importe quelle cible dans la région.

Accord Niger – USA

Beaucoup ont rapidement vu dans cette décision une conséquence directe du revers sanglant subi à Tongo Tongo. « Cela faisait longtemps que nous discutions de cette possibilité. Mais les récentes attaques que nous avons subies [également à Ayorou, dans la même région, où treize gendarmes ont été tués le 21 octobre] ont mis en exergue nos faiblesses et nous ont poussés à solliciter un soutien accru des Américains pour neutraliser nos ennemis », confie une source ministérielle nigérienne.

Selon elle, Niamey et Washington sont d’accord sur le fond. Le protocole sur l’armement des drones américains basés au Niger devrait donc être signé « d’ici à la fin de l’année ». De son côté, le Commandement des États-Unis pour l’Afrique (Africom) se refuse à tout commentaire « sur les autorisations militaires spécifiques » et indique seulement que les « gouvernements du Niger et des États-Unis travaillent main dans la main pour empêcher des organisations terroristes d’utiliser la région comme une base arrière ».

Les Reaper décolleront d’une grande base à Agadez dont la construction devrait être achevée d’ici au second semestre de 2018

Une fois l’accord définitivement entériné entre les deux pays, les drones américains pourraient être rapidement armés. « Cela pourra être fait en quelques jours. Il leur suffit de monter un support pour missiles sur les drones », explique un spécialiste des questions de défense.

Actuellement à Niamey, ces Reaper décolleront bientôt d’une grande base à Agadez, dans le centre du Niger, dont la construction devrait être achevée d’ici au second semestre de 2018. Celle-ci accueillera une grande partie des 800 militaires américains présents dans le pays et dont le nombre devrait augmenter dans les mois à venir.

Les « drones tueurs »

Cette base de drones de guerre sera la deuxième du genre sur le continent après celle de Djibouti, d’où les États-Unis mènent régulièrement des frappes ciblées contre des chefs jihadistes en Somalie et au Yémen. Dotés d’une autonomie de près de vingt-quatre heures de vol et d’un rayon d’action de 1 800 km, les « drones tueurs » américains pourront mener des opérations dans une grande partie de la bande sahélo-saharienne.

Depuis Agadez, les responsables du Pentagone envisagent ainsi de pouvoir couvrir une vaste zone allant du lac Tchad au Sud libyen en passant par le nord du Mali et du Niger. Dans leur viseur : les combattants affiliés à Boko Haram, au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) ou encore à l’organisation État islamique.

Drones français armés

Les Américains ne sont pas les seuls Occidentaux à avoir opté pour ce changement tactique et stratégique majeur dans leur guerre contre le terrorisme au Sahel. Début septembre, sur instruction du président Emmanuel Macron, Florence Parly, sa ministre des Armées, a annoncé que les drones français allaient aussi être armés.

Depuis 2014, Paris dispose de six Reaper acquis auprès des Américains (un appareil européen devrait voir le jour d’ici à 2025). Basés à Niamey, cinq d’entre eux – le sixième est utilisé pour des missions d’entraînement en France – servaient jusqu’à présent à des missions de surveillance et de renseignement dans le cadre de l’opération Barkhane.

« Ce sont des appareils très utiles, qui sont silencieux, endurants et quasi invisibles à l’œil nu »

Le gouvernement français a officiellement demandé aux autorités américaines qu’ils puissent être armés, tout comme les six Reaper supplémentaires qui doivent lui être livrés d’ici à 2019. Cette demande doit désormais obtenir l’aval du Congrès, ce qui ne devrait être qu’une formalité. Enfin, pour voler, ils devront avoir le feu vert de Niamey.

À Paris, les responsables du ministère des Armées estiment qu’il s’agit d’une arme complémentaire aux moyens existants et adaptée au contexte de l’opération Barkhane, qui s’étend sur des centaines de milliers de kilomètres carrés. « Ce sont des appareils très utiles, qui sont silencieux, endurants et quasi invisibles à l’œil nu, détaille un proche de Florence Parly. Ces drones continueront surtout à faire des missions de surveillance, mais ils offrent la possibilité de réaliser des frappes d’opportunité : si nous repérons une cible, nous pourrons la neutraliser presque instantanément, ce qui n’était pas possible avant. »

Critiques et efficacité

Cette future utilisation de « robots tueurs » au Sahel suscite aussi de nombreuses critiques. Utilisés pour la première fois en Afghanistan après le 11 septembre 2001, généralisés en Irak après l’intervention américaine de 2003, ces aéronefs automatisés et pilotés à distance ont ensuite été massivement employés par la CIA sous l’administration Obama (2008-2016) pour mener en toute opacité des éliminations ciblées.

Cette escalade de la lutte antiterroriste pourrait aggraver la situation au lieu de l’améliorer », estime Gilles Yabi

Face aux observateurs qui dénoncent des méthodes déshumanisées et une guerre de type « jeu vidéo », les défenseurs des drones de guerre tâchent de se montrer rassurants. « Rien ne diffère des avions de chasse. Ces drones sont pilotés par des humains basés sur le théâtre d’opérations qui respecteront les règles d’engagement auxquelles nous nous astreignons », affirme-t-on au ministère français des Armées, où l’on souligne que ces appareils serviront à protéger les forces engagées sur le terrain et non pas uniquement à tuer des personnes recherchées.

Plus largement, certains civils doutent de l’efficacité stratégique de ces drones armés. « Ils participent à une logique de militarisation croissante de la région par les pays occidentaux. Or cette escalade de la lutte antiterroriste pourrait aggraver la situation au lieu de l’améliorer », estime Gilles Yabi, analyste et fondateur du Wathi, un think tank citoyen sur l’Afrique de l’Ouest.

Il fait également peu de doute que les inévitables victimes collatérales causées par ces drones de guerre ne manqueront pas, dans les années à venir, d’alimenter la propagande des groupes jihadistes sahéliens ni de favoriser leur recrutement.

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