Lutte contre le terrorisme : Ne pas balayer l’option russe du revers de la main

 

Les 23 et 24 octobre 2019, les dirigeants africains se sont réunis autour du président russe Vladimir Poutine pour le 1er sommet Russie-Afrique à Sotchi. Président en exercice du G5 Sahel, le Président du Faso Roch KABORE a plaidé pour un engagement manifeste de la Russie dans la lutte contre le terrorisme au Sahel. Au delà des éternelles jérémiades, une évidence s’impose. Ce sommet relève du réalisme géopolitique. Pris en tenaille, il revient  aux Etats africains de rechercher les meilleurs partenaires pour combattre efficacement les terroristes. En la matière, la Russie, qu’on le veuille ou pas, est un partenaire stratégique. Le Burkina Faso n’a donc aucun intérêt à cracher dans le bassinet.

Entre attaques terroristes et conflits intercommunautaires, les chefs d’État sahéliens cherchent à multiplier les partenariats stratégiques pour essayer de ramener la paix chez eux. Tous ont fait le déplacement de Sotchi pour répondre aux attentes de leurs populations qui ne décolèrent pas contre la France, l’ex-puissance coloniale accusée de tous les maux du fait de sa présence militaire par l’intermédiaire du dispositif Barkhane. Celui-ci vient compléter la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma), mais sans pour autant parvenir à bouter les divers groupes djihadistes hors du Sahel.

A la question donc de savoir si les relations avec la Russie ne compromettraient pas celles avec des partenaires classiques comme la France et les Etats-Unis, la réponse du Président du Faso a été sans équivoque : « Non pas du tout ! Je pense que tous ces pays entretiennent des relations avec la Russie ! Pourquoi pas l’Afrique ?  On ne peut pas nous denier le droit de pouvoir diversifier nos partenaires également. Ça fait partie des relations et du multilatéralisme dans le monde. De ce point de vue, nous sommes tout à fait en droit de le faire sans aucune contrainte, parce que nous n’avons pas de relation d’exclusivité avec un partenaire quelconque. Ce sont nos intérêts que nous suivons ». Contrairement à une certaine opinion, le Burkina Faso n’a pas attendu le sommet Russie- Afrique pour envisager les relations avec la Russie. En 2016, le Burkina Faso et la fédération de Russie ont célébré le cinquantenaire de l’établissement de leurs relations diplomatiques. En 2018, le Burkina Faso participait pour la deuxième fois au Forum Armée à Moscou. Ce fut l’occasion pour les deux pays de signer un accord bilatéral. La participation du Burkina Faso au sommet de Sotchi permettra sans doute de revigorer davantage l’axe Ouagadougou-Moscou. Le partage de renseignement et d’expérience militaire est nécessaire pour vaincre le terrorisme, surtout que le Burkina Faso, tout comme les autres pays du Sahel, peine à prévenir, contenir et détruire les groupes terroristes. La contribution russe au développement des capacités opérationnelles et de projection des forces de défense et de sécurité sur le théâtre des opérations est non seulement la bienvenue, mais elle sera aussi très utile dans la guerre asymétrique que le Burkina Faso mène contre les groupes terroristes.

L’Afrique, un enjeu géopolitique pour la Russie

Si le sommet de Sotchi est d’un intérêt certain pour l’Afrique, il l’est aussi pour la Russie qui doit faire face à une situation plus compliquée depuis la disparition de l’empire soviétique. En effet, l’URSS avait tissé des relations très étroites avec de nombreux pays du continent africain. Les intérêts stratégiques étaient avant tout d’ordre idéologique, mais également économique. Le cas de l’exploitation de la bauxite en Guinée est emblématique de cet intérêt. Les investissements de l’URSS se situaient à tous les niveaux de la chaine, de l’extraction du minerai jusqu’à la production de l’aluminium. Mais l’influence et les investissements ont cessé dès 1990 et jusqu’à la disparition du bloc soviétique. La Russie en pleine phase de reconstruction tant institutionnelle que politique, ne retrouvera un semblant de politique africaine qu’à partir du début des années 2000. Cette longue absence n’est pas un obstacle facile à surmonter, mais avec une croissance économique d’environ 5% par an, et une augmentation du PIB de 25% à l’horizon 2020, soit l’équivalent de 2 600 milliards de dollars pour l’ensemble du continent, l’Afrique est redevenue un enjeu pour la Russie comme pour tous les autres pays. Faute de politique africaine pendant ces dix années d’absence, l’activité s’est souvent traduite par la réalisation de projets de manière ponctuelle, notamment par le biais des grandes entreprises publiques ou par des géants du secteur privé. Mais cette période semble aujourd’hui révolue.

Il ne s’agit bien sûr pas d’un retour à la puissance soviétique d’antan, les enjeux n’étant plus aujourd’hui idéologiques, mais d’une nouvelle forme de puissance économique et diplomatique qui correspond aux réalités du moment. Aujourd’hui la Russie est présente partout en Afrique. La vitesse à laquelle elle s’y implante en dit long sur la volonté et la détermination russes. La Russie regorge, certes, de matières premières, mais l’Afrique a d’autres ressources naturelles qui l’intéressent : les diamants, l’or, l’uranium, etc. Pour ce faire, à côté de ses grandes compagnies d’Etat, le domaine militaire en général, les ventes d’armes, en particulier, constituent pour la Russie un levier très important. La Russie, sixième économie du monde aujourd’hui, reste le deuxième exportateur mondial d’armements. Le besoin de retour de la Russie en Afrique peut également s’expliquer par la détérioration des relations de la Russie avec l’Occident. La Russie est à nouveau considérée comme une menace existentielle contre les démocraties occidentales. Des tensions diplomatiques fortes s’observent entre la Russie et le monde occidental qui l’accuse de vouloir redessiner les frontières européennes. La Russie, ciblée par des sanctions internationales et se sentant attaquée, voire encerclée, cherche donc à casser cet isolement, cet encerclement, ces attaques. Elle recherche donc de nouveaux débouchés en Afrique, de nouveaux soutiens, des zones d’influence. Si la Chine a choisi les échanges commerciaux comme porte d’entrée, la Russie a ciblé le secteur de la défense et de la sécurité ; ceci bien sûr, à côté d’autres secteurs stratégiques comme les mines, l’énergie, le nucléaire. Sur le plan sécuritaire, la menace terroriste est apparue comme l’une de ses priorités. La Centrafrique entre dans le cadre récent de la coopération Russie-Afrique. Des centaines de militaires Russes  sont déployés dans ce pays dans le cadre d’un accord et pour une « mission de formation et de sécurisation » et surtout pour la livraison d’armes pour rééquiper les FACA. Les militaires centrafricains pourront également être formés en Russie. Désormais les Russes ont leurs bases en Centrafrique, les plus marquantes étant celles de Bria et de Ouata dans le Nord Est,  dans une zone diamantifère.

Depuis 2017, la politique russe a pris une nouvelle dimension en Afrique Centrale et de l’Ouest où Moscou multiplie les coopérations. Sont ainsi dénombrés une quinzaine d’accords de coopération militaire et technique avec l’Afrique. L’accélération du retour militaire de la Russie en Afrique est bien frappante, avec pas moins de 6 accords militaires récents en moins d’une année (d’Aout 2017 à Mai 2018) avec la RD Congo, le Soudan, la Centrafrique, l’Egypte, la Guinée, le Burkina Faso. La Russie, qui avait accompagné les indépendances de beaucoup de pays africains, connait bien l’importance de l’Afrique pour s’en désintéresser aujourd’hui. Au contraire, elle a senti que le monde change et, elle veut être sur le continent africain, un partenaire qui compte. La Russie avance donc très vite en Afrique et ici comme ailleurs, elle surfe sur les erreurs des occidentaux et les désordres qu’elles ont pu causer. On pourrait en Afrique, sans toutefois s’y limiter, parler des cas libyen et centrafricain. Elle saisit l’occasion pour jouer un rôle pour le retour de la paix dans ces pays, pour leur stabilisation. Et il faut l’avouer, pour profiter, elle aussi, des ressources immenses de ces pays.

En matière de lutte contre le terrorisme, la Russie est un partenaire clé. Mais au Burkina Faso comme dans tous les pays du Sahel, la solution est avant tout endogène. Il ne faut donc pas s’attendre à une solution miracle du jour au lendemain.

 

Jérémie Yisso BATIONO

Enseignant chercheur

Ouagadougou

 

 

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