Le préfinancement de la production agricole en milieu rural : une alternative de raison (cas du maraîchage à l’ouest du Burkina Faso)

 

Ingénieur de recherche à INSS/CNRST ; Ouagadougou, Burkina Faso, Docteur en sciences politiques et sociales de l’Université Catholique de Louvain /Belgique felixouedraogo99@gmail.com

 Introduction

Le maraîchage est l’une des principales sources de revenu en milieu rural burkinabè. Il mobilise en contre-saison plus de 400 000 emplois dont 1/3 de femmes (MAHRH, 2007). La filière maraîchère est reconnue aujourd’hui comme un secteur économique majeur dans la lutte contre la pauvreté (FAO, 2008).  La dynamique de développement de la production maraîchère est tirée par la demande en produits maraîchers des centres urbains.

Le maraîchage est une activité agricole utilisatrice d’intrants, notamment les fertilisants, les pesticides les semences.  Il est également utilisateur de matériel de production telle que la motopompe dont le fonctionnement à l’hydrocarbure entraine des coûts plus ou moins élevés. Tout ceci constitue des charges considérables à supporter au moment du lancement d’une campagne de production maraîchère. Les moyens financiers et matériels des maraichers étant limités, la reprise de leurs activités de production n’est pas toujours assurée à chaque début de campagne. Cette situation amène de nombreux producteurs à se tourner vers des sources de financement externes. Les sources de financement les plus connues sont les institutions financières (banque, caisse, structure de micro-crédit). A côté de ces sources de financement reconnues, une autre source de financement se développe à l’initiative des acteurs eux-mêmes (producteurs et grossistes), il s’agit du préfinancement (Ouédraogo, 2016).

Le préfinancement de la production agricole est un système de financement des activités maraîchères issues de la collaboration entre producteurs et grossistes. Si cette approche de financement permet aux activités de production maraîchère d’être menées, les retombées de cette collaboration sont diversement appréciées par les acteurs impliqués dans le processus. Ceci appelle à une organisation structurelle du système de financement des activités de production agricole tenant compte des attentes et des réalités socioéconomiques des acteurs.

Notre analyse s’appuie sur des données issues d’entretiens semi-directifs auprès de maraîchers et maraîchères de neufs sites de production de la province du Houet. Ces sites ont été choisis en raison de leurs densités et de leurs proximités des centres de commercialisation des produits maraîchers. L’approfondissement de la réflexion autour de la thématique abordée nous a également amené à nous entretenir auprès de personnes ressources familières des questions agraires au Burkina Faso. L’ensemble des données recueillies nous ont permis d’aborder dans cet article les questions relatives aux caractéristiques de l’accès au crédit, au système de préfinancement agricole dans le maraîchage. Nos constats et nos analyses nous ont également inspiré des suggestions.

L’accès au crédit

Dans les années 60, la plupart des pays de l’espace UEMOA disposait d’une banque spécialisée dans le financement des activités agricoles. Dans les années 90, la mise en œuvre des programmes d’ajustements structurels suite à la libéralisation des économies a entrainé dans ces pays, la fermeture de 11 banques agricoles sur un total de 14. Cette situation a considérablement plombé le dynamisme du secteur agricole des pays de cet espace économique en supprimant les possibilités de financement d’un secteur dominé par de petits producteurs au moyens limités (Niyongabo, 2008). Au Burkina Faso la Banque agricole et commerciale (BACB) a été rachetée par Ecobank en 2008.

Dans la dynamique de développement du maraîchage, les maraîchers rencontrés dans le Houet ont évoqué pour certains le manque de moyens financiers nécessaires à l’achat des intrants et pour d’autres la location de superficies de production plus grandes (femmes) comme un obstacle important à l’évolution de leurs activités. Cette réalité traduit le problème de l’accès au financement de la production, une contrainte majeure qui se pose aux maraîchers de la province. Dans la province du Houet, entre avril 2016 et mars 2017, seulement 16,32% de ces producteurs ont bénéficié d’un financement pour leurs activités de production. Ce faible niveau de financement est révélateur d’un manque d’accès aux institutions financières pour la production maraîchère. Pour 87,5% des maraîchers du Houet, la contribution des institutions financières au développement de l’activité maraîchère semble donc quasi inexistante. Si les pouvoirs publics imputent cette situation au manque d’institutions financières spécialisées dans le financement des activités de production agricole, les maraîchers en général, déplorent des conditions d’octroi de crédit en déphasage avec les réalités socioéconomiques des milieux ruraux. La faible niveau d’accès au crédit limite également les capacités d’investissement des femmes dans le maraîchage. Considérant le secteur agricole tout secteur de production confondu, près de 44 % des exploitants maraîchers n’ont pas d’institutions de microfinance (IMF) dans leurs localités (MAH, 2011). En 2016, en matière de financement de l’horticulture, le taux d’accès au crédit pour les producteurs arboricoles était de 16,35 % (MAAH, 2017). Cette réalité révèle que ce secteur ne constitue pas une priorité pour l’Etat burkinabè. Par ailleurs, dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne, la situation n’est guère meilleure. C’est qui fait dire à Dongmo et al. (2005) qu’en Afrique subsaharienne, le développement de l’activité maraîchère est freinée par la faiblesse des ressources financières pour l’achat des intrants. Ce qui sous-entend une absence de structures de microcrédits accessibles aux ménages de producteurs. Par ailleurs, l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) reconnait cette contrainte lorsqu’elle affirme en 2013 que :

L’accès au crédit demeure l’une des principales contraintes de l’agriculture burkinabè. Selon les résultats du RGA 2008, seulement 8 pour cent des producteurs avaient accès au crédit. La principale difficulté d’accès au crédit signalée par les producteurs est l’absence de structure de crédit. (FAO, 2013, P.52).

Face à cette situation, un nombre important de producteurs font préfinancer leurs productions par des distributeurs-grossistes des principaux marchés de fruits et légumes de la ville de Bobo Dioulasso. Cette situation tend à rendre leur dynamique de production dépendante du soutien de ces grossistes.

Le préfinancement agricole

Le difficile accès au crédit a tendance à réduire les ambitions des producteurs en termes d’investissements. La sensibilité des maraîchers aux aides à la production prend la forme d’un préfinancement agricole. En effet, un nombre important de producteurs du Houet font préfinancer leur activité de production.

De nos entretiens avec les producteurs et productrices des milieux urbains, périurbains et ruraux, il ressort que de plus en plus de producteurs maraîchers font recours au préfinancement afin de débuter leurs campagnes de production agricole. Ce préfinancement consiste en une entente directe entre commerçants et producteurs, consistant pour la première catégorie d’acteur à préfinancer les charges variables de la production de la seconde catégorie. Cette prise en charge concerne l’achat d’intrants agricoles et exceptionnellement de matériel de production de base. Dans cette situation, c’est le commerçant grossiste qui impose le choix des spéculations qu’il souhaite avoir, mais aussi la qualité des produits. En outre, le préfinancement agricole est un système dans lequel les commerçants tirent d’importants bénéfices. Généralement, les maraîchers qui acceptent le préfinancement de leurs productions tirent 50% du revenu brut issu de la vente de la production contre 50% pour le commerçant financier. Toutefois, cette formule de répartition est variable. Le système de préfinancement agricole fait l’objet d’une appréciation mitigée des deux parties engagées dans le processus. Tandis que les grossistes se satisfont de sa plus-value quand la récolte est bonne, les producteurs, eux estiment qu’ils sont exploités par les grossistes qui selon eux tirent le maximum de bénéfice du système. Dans tous les cas, le préfinancement de la production maraîchère est une alternative réelle au manque d’institutions de financement de la production maraîchère en milieu rural.

La dépendance des exploitations au préfinancement des commerçants-grossistes est une faiblesse de l’agriculture burkinabè. En effet, la contribution des institutions financières au développement de l’activité maraîchère semble quasi inexistante. Cela expose non seulement les maraîchers au dictat des commerçant grossiste, mais influence négativement l’efficacité économique de leurs activités d’où…

La nécessité d’un système intégré de financement de la production maraîchère

Le soutien en amont de l’Etat (accès aux intrants, accès au crédit, appui technique) est donc très déterminant dans la croissance de production agricole. La création en 2019 de la banque agricole du Burkina Faso (BADF) est un pas majeur dans l’assise d’une autonomie de financement de la production agricole à l’échelle nationale. Toutefois, de telles institutions ont tendance à se consacrer au financement des activités des grandes exploitations de rentes (coton, maïs).  De même, leurs conditions d’octroi de crédit semblent peu adaptées aux réalités économiques des producteurs. Il serait donc nécessaire que se développe sous l’impulsion de l’Etat Burkinabè et des acteurs du monde agricole des mécanismes locaux de financement de la production agricole tenant compte du nombre des petits producteurs ruraux et de leurs réalités économiques.

En partant du fait que les projets de microfinance ciblant les clients exclus du système financier classique font généralement face à un risque et des coûts d’information et de démarrage élevés, Lapenu (2000) suggère la mise en place de mécanismes visant à réduire ces risques et ces coûts. Dans cette optique, l’auteur soutient que l’Etat pourrait développer des projets de microfinances en milieu rural, bénéficiant de ses investissements ou de ceux de ses bailleurs de fonds sous forme de subventions. Ces soutiens pourraient aider à définir des services et des structures susceptibles d’améliorer la portée, l’impact et la durabilité des actions des institutions de microfinance (Lapenu, 2000). Cela permettrait à un nombre important de maraîchers de disposer des ressources nécessaires pour investir davantage dans le secteur afin de générer un impact positif dans la chaine de valeurs de la filière maraîchère et dans les communautés environnantes. L’enjeu d’une telle orientation sur le plan macroéconomique est l’accroissement la participation du secteur maraîcher au PIB national et la création d’emplois décents. Au le plan microéconomique, cet enjeu se résume en la hausse des revenus des petits producteurs et en l’amélioration des conditions de vie des ménages.

Conclusion

Dans sa dynamique de développement le secteur maraîcher du Burkina Faso fait face à un certain nombre de contraintes handicapantes parmi lesquelles la difficultés d’accès au crédit nous paraît l’une des plus importantes. Dans la province du Houet, notre étude a révélé un faible taux d’accès au crédit (16,35%).  Le manque d’institutions financière en milieu rural soutenu par l’inadaptation des conditions d’octroi de crédit sont les principales causes évoquées par les producteurs. Cette réalité a ainsi poussé les maraîchers à se tourner vers le système de préfinancement de leurs productions; une initiative non standardisée et pas toujours bénéfique pour le producteur. Par ailleurs, la création de la Banque agricole du Burkina (BADF) est certes porteuse d’espoir, toutefois la capacité de cette institution à toucher géographiquement les producteurs ruraux et à leurs proposer des possibilités de financement s’adaptant à leurs réalités socioéconomiques reste un objectif qu’il faudrait atteindre.

Bibliographie

Dongmo, T., Gockowski, J., Hernandez, S., Awono, L., & Moudon, M. (2005). L’agriculture périurbaine à Yaoundé : ses rapports avec la réduction de la pauvreté, le développement économique, la conservation de la biodiversité et de l’environnement. Tropicultura, 23(3), 130-135.

FAO. (2008). « Analyse de la filière Maraîchage au Burkina Faso », Rapport Enquête maraîchère, 117 p.

FAO. (2013). Revue des politiques agricoles et alimentaires au Burkina Faso. Series rapport pays SPAAA, Rome, Monitoring and Analyzing Food and Agricultural Policies, 225 p.

Lapenu, C. (2000). The role of the State in promoting microfinance institutions, International Food Policy Research Institute (IFPR), Washington DC.

MAAH. (2017). Programme de développement des cultures fruitières et légumières. Situation de référence. Ministère de l’Agriculture et des Aménagements Hydrauliques. (2018-2022).64 p.

MAH. (2011). Bureau central du recensement général de l’agriculture, Rapport d’analyse du module Maraîchage, Ministère de l’agriculture et de l’Hydraulique. 214 p.

MAHRH. (2007). Analyse de la filière maraîchage au Burkina Faso, Ministère de l’Agriculture, de l’Hydraulique et des Ressources Halieutiques. 127 p.

Niyongabo, E. (2008). Défis du financement agricole et rural, rôle pour la microfinance et implications pour les politiques publiques en Afrique subsaharienne. Pistes de recherche basées sur le cas du Burundi. Pistes de recherche basées sur le cas du Burundi.

Ouédraogo, F. (2016). Dynamiques locales et transition agroécologique : le cas du maraichage au Burkina Faso (région des hauts-bassins). Mémoire de Master Complémentaire Université Catholique de Louvain-la-Neuve. 58-68, 116 p.

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