Franc CFA : « La souveraineté d’un pays ne se juge pas à sa monnaie »

Pour Gilbert Ondongo, le ministre congolais de l’Économie, les États africains doivent s’atteler à bâtir de vraies économies compétitives, plutôt que de se préoccuper de disposer chacun de sa monnaie. Appris par Jeune Afrique, ce qui ne l’empêche pas de suggérer des évolutions dans la politique monétaire de la zone CFA, notamment le passage de la fixité par rapport à l’euro à une flexibilité contrôlée.

Depuis plus d’un an, il ne se passe plus un jour sans que les Africains de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (Cemac) ne parlent du franc CFA. Ils le font sous toutes les coutures : mauvaise monnaie, cause des déconvenues économiques, bonne monnaie, garante de la stabilité macro-financière, monnaie aux relents coloniaux, monnaie d’avenir malgré tout, etc.

Ces échanges vifs dénotent, à tout le moins, de l’intérêt qu’ils accordent au devenir économique de leurs pays. Cependant, on peut déplorer le fait que mal ordonné, le débat va dans tous les sens, et on en vient à se demander quel est le vrai sujet qui mérite débat.

Il nous semble opportun de revenir à l’économie et de limiter le débat à trois questions que nous jugeons fondamentales :

  • chaque pays d’Afrique a-t-il intérêt à créer et à gérer en toute indépendance sa propre monnaie ?
  • une monnaie autre que le franc CFA fera-t-elle le développement des pays qui se trouvent aujourd’hui dans la zone franc ?
  • quel régime de change adopter ? Parité fixe ou libre fluctuation ?

1.     La monnaie n’est pas à envisager comme l’expression de la souveraineté nationale

La souveraineté d’un pays ne se juge pas à sa monnaie. Une nation, une communauté de personnes sur un territoire, peut disposer d’une monnaie qui lui est propre, sans être souveraine pour autant. A contrario, une nation peut partager une monnaie avec d’autres, sans en avoir le contrôle, et en même temps, disposer des capacités à décider et à agir seule dans plusieurs domaines qui lui confèrent une certaine souveraineté.

La République démocratique du Congo, qui a sa monnaie, n’est pas plus souveraine que la France qui a une monnaie commune. L’inverse est tout aussi vrai. Les États-Unis d’Amérique, avec leur dollar, ne sont pas moins souverains que la République fédérale d’Allemagne, qui a l’euro en partage avec dix-huit autres pays.

À l’ère de la mondialisation, vouloir une monnaie propre pour affirmer sa souveraineté nationale relève du non-sens

À sa naissance, la monnaie n’a jamais été associée à la considération de souveraineté. L’histoire nous enseigne plutôt que les principales fonctions attribuées à la monnaie ont été et demeurent :

  • l’intermédiaire des échanges : la monnaie sert à payer les biens et services mis en vente
  • l’unité de compte : la monnaie joue le rôle d’étalon de la valeur des biens et services échangés
  • la réserve de valeur : la monnaie constitue un pouvoir d’achat que l’on peut accumuler pour en faire usage plus tard

De l’antiquité au début des temps modernes, ne pouvaient être utilisés comme monnaie que des objets universellement acceptés en paiement de biens ou de services. On est loin des considérations de souveraineté nationale.

C’est dans ce même esprit universaliste qu’est né le nouveau système monétaire international, consécutif à la conférence de Bretton Woods de juillet 1944, reposant sur l’or comme monnaie de référence internationale, « le Gold Exchange Standard ».

Toutes les monnaies nationales se définissaient alors par rapport à l’or. Il n’y avait nullement de préoccupation de souveraineté nationale en matière monétaire. Aujourd’hui, à l’ère de la grande mondialisation des échanges, vouloir une monnaie propre pour affirmer la souveraineté nationale relève simplement du non-sens.

2.     Une monnaie autre que le franc CFA ne fait pas le développement

Pour preuve, la Guinée (en 1960), le Mali (de 1962 à 1984), Madagascar (en 1972) et la Mauritanie (en 1973) qui avaient quitté la zone franc pour émettre leur propre monnaie, ne sont pas, à ce jour, plus développés que la plupart des pays de la zone franc. Outre le Mali, qui est revenu dans la zone en 1984, la Guinée équatoriale (en 1985) et la Guinée-Bissau (en 1997) ont rejoint la zone franc, préférant ainsi, pour leur développement, la monnaie commune à la monnaie nationale.

Les pays africains qui s’étaient dotés de leur propre monnaie et ont une politique monétaire depuis la première année de leur indépendance, ne sont pas développés aujourd’hui. Plus de cinquante ans se sont déjà écoulés. De toute l’Afrique, il n’y a que l’Afrique du Sud, avec l’histoire qui est la sienne, qui siège au G20, le groupe des pays les plus développés du monde.

Ce sont les bonnes ou les mauvaises règles de gestion de la monnaie qui importent. Pas la monnaie elle-même, encore moins son autorité de tutelle

Les faits relevés à travers le temps tendent à montrer que la majorité des pays africains émettant chacun leur monnaie ont souvent connu une forte inflation et une déstabilisation de leur système financier national. Face à la chute continue du cours de leur monnaie, beaucoup n’ont pas hésité à changer la monnaie ou l’appellation de celle-ci, tentant ainsi de la réévaluer artificiellement.

La politique monétaire fait partie intégrante des politiques économiques, mais seule, elle ne fait ni le développement, ni le sous-développement. À la vérité, pour un bon accompagnement du développement ou non, il n’y a que de bonnes ou mauvaises règles de gestion de la monnaie qui importent. Pas la monnaie elle-même, encore moins son autorité de tutelle.

Si pour le franc CFA, c’est la définition des règles de gestion convenues avec la France qui pose problème, il suffit, devrait-on dire, d’un simple dialogue entre les autorités concernées, pour que soit réglé le problème. Il n’y a pas besoin de débat interminable sur le sujet.

3.     Oui à la flexibilité contrôlée et non au libre flottement du franc CFA

De tout temps, les hommes ont eu tendance à rechercher la stabilité du cours de leur monnaie. À Bretton Woods en 1944, par exemple, les pères fondateurs du système monétaire d’après-guerre visaient, entre autres, une stabilité monétaire internationale pérenne. Chacun des 44 pays signataires des accords prenait l’engagement de maintenir sa monnaie, pour une durée indéterminée, dans une fourchette de valeurs proche de celle de l’or. Et le taux de change entre monnaies de différents pays était fixe.

Même avec la fin en 1971 de l’accord de Bretton Woods et les nouveaux accords de Kingston (Jamaïque) de 1976, les pays membres du Fonds monétaire international s’étaient engagés à promouvoir un système de taux de change stable.

Nombre d’économistes pensent que le fait pour les États-Unis d’Amérique de laisser flotter librement leur monnaie, depuis août 1971, connaissant des fortes variations – du simple au double – à la baisse ou à la hausse, serait à l’origine de plusieurs crises économiques à travers le monde. On attribue la crise économique de 1973 à la forte baisse du dollar et celle de 1998, en Asie, à la forte hausse du même dollar.

Il y a de bonnes raisons de se plaindre de la fixité du franc CFA par rapport à l’euro

Partant de ce vécu international, on ne peut qu’être enclin à préférer la stabilité du franc CFA à son libre flottement.

La stabilité n’exclut pas la flexibilité contrôlée. Il y a de bonnes raisons de se plaindre de la fixité du franc CFA par rapport à l’euro. D’où la nécessité de préconiser des marges encadrées de flexibilité, permettant des ajustements ad hoc du franc CFA. Cela pourrait être un ajustement à la baisse de 5 à 15 %, pour rendre plus compétitifs les produits des pays de la zone franc vendus en Europe, ou encore à la hausse dans les mêmes proportions, en vue d’alléger le coût des importations en provenance d’Europe.

La Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et la Banque des États d’Afrique centrale (BEAC) se verraient confier la mission de déterminer les marges de flexibilité et jugeraient de l’opportunité de les appliquer, dans un sens ou dans un autre, dans le cadre de la mise en œuvre de la politique monétaire.

Il faut avant tout avoir une vraie économie, solide, bien structurée et compétitive

L’économiste Jean-Baptiste Say avait dit, en 1803, « la monnaie n’est qu’un voile », parce qu’elle ne fait que faciliter les transactions sans incidence réelle sur le fonctionnement de l’économie. Les économistes dits keynésiens lui avaient répondu, plus d’un siècle après, que des variations monétaires entraînaient, à travers des taux d’intérêt, des variations de l’investissement et donc de la production et de l’emploi. Aujourd’hui, cela nous semble juste.

La monnaie n’est pas neutre par rapport à l’économie. Cependant, pour disposer d’une bonne monnaie qui influence positivement l’économie, il faut avant tout avoir une vraie économie, solide, bien structurée et compétitive.

Les États africains doivent donc s’atteler à bâtir de vraies économies compétitives, à les fortifier en les diversifiant chaque jour un peu plus, plutôt que de se préoccuper de disposer chacun, d’une monnaie.

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