Enrôlement de la diaspora : Il n’y a pas de quoi rougir

 

Alors que la Commission électorale nationale indépendante (CENI) s’attendait à au moins 02 millions d’enrôlés, le 21 janvier 2020, à 05 jours de la fin de l’opération d’enrôlement des Burkinabè de l’étranger, ils n’étaient que 14 185 à s’être fait enregistrer auprès des équipes de la CENI. « Echec sur toute la ligne », « honte nationale », « sabotage de l’enrôlement de la diaspora ». Les railleries et les qualificatifs désobligeants ont fusé de toutes parts après la publication des chiffres officiels. Si les chiffres sont effectivement en deçà des attentes, il faut toutefois se garder de jeter le bébé avec l’eau du bain. Malgré l’extraordinaire longévité du régime précédent, le vote de la diaspora est demeuré un serpent de mer. En dépit des faiblesses constatées, le défi est en passe d’être relevé en 2020. Il faut s’en féliciter même si de nombreux correctifs doivent être apportés aux opérations d’enrôlement des Burkinabè de l’extérieur.

Quel est le nombre exact des Burkinabè de l’extérieur ?  Difficile d’avoir des chiffres précis et fiables. Les estimations oscillent entre 10 et 15 millions. Rien qu’en Côte d’Ivoire, le nombre de Burkinabè est estimé entre 3 et 4 millions, dont environ 1,5 million d’électeurs potentiels. Afin de rafler les voix de ces compatriotes de l’extérieur, des cartes consulaires avaient été conçues à la hâte par un prestataire dont la moralité est parfois sujette à caution. Le régime Compaoré avait en effet attribué le juteux marché de la fabrication des cartes à la société Snedai, d’Adama Bictogo, jusqu’en 2023. L’opposition et la société civile avaient dénoncé ce deal en son temps. Ces protestations n’ont pas empêché la distribution de près de 2 000 000 de cartes.

Comment peut-on confier la mission de confection de documents électoraux à une structure étrangère pendant que des compétences sont disponibles à l’intérieur du pays ?

Pour  l’intégrité du scrutin de 2020, il était inadmissible que ces documents facilement falsifiables puissent servir pour le vote. C’est pour cette raison que le code électoral a purement et simplement décidé de la suppression de la carte consulaire pour ne reconnaitre que la CNIB et le passeport en cours de validité comme documents d’identité et de vote pour tout Burkinabè vivant tant à l’intérieur du pays qu’à l’étranger. Pour être inscrit sur le fichier électoral à l’étranger, il faut être  préalablement immatriculé à l’ambassade ou au consulat général, et détenir la CNIB ou le passeport. Le 23 janvier dernier, l’Assemblée Nationale a voté une loi modificative du code électoral dans le but d’entériner les décisions issues du dialogue politique initié par le Président du Faso Roch Kaboré en juillet 2019. Les modifications du code portent entre autres sur l’installation des bureaux de vote dans l’enceinte des Ambassades et Consulats généraux et en tout autre lieu en accord avec le pays hôte, la réception des candidatures à l’élection présidentielle par la CENI,…

Leçons d’un rendez-vous manqué

Le faible engouement des Burkinabè de l’extérieur  pour l’enrôlement est la résultante de plusieurs facteurs.

Les partis politiques dans leur ensemble ont dans un premier temps failli à leur mission de sensibilisation et de mobilisation de cette diaspora. La majorité comme l’opposition étaient plus obnubilées par les voix de cette diaspora aux élections à venir qu’elles n’ont pas suffisamment pris le soin de s’assurer que  la foule de « militants » qui scandaient des slogans à hue et à dia à leurs différents meetings remplissaient les conditions minimales requises pour prendre part de façon appropriée au scrutin. Pour les élections à venir, les partis politiques doivent se retrousser les manches pour éviter un fichier électoral squelettique et une participation électorale mitigée. Ils reçoivent un financement public pour le travail de sensibilisation.

Il y a également lieu de souligner les problèmes de timing et de coordination entre la CENI, le gouvernement et l’ONI. Pour une opération d’une telle envergure, ces 03 acteurs devaient travailler dans une parfaite synchronisation.

Les Burkinabè de l’extérieur ont, eux aussi leur part de responsabilité dans la situation. Depuis 2016 au moins, le gouvernement s’était prononcé favorablement pour le vote de la diaspora. Les conditions étaient connues de tous. Les structures faitières de ces compatriotes auraient pu prendre langue avec les autorités afin de trouver des mécanismes pour favoriser la délivrance des documents administratifs aux potentiels électeurs.

Aujourd’hui, le vin est tiré. Il faut le boire. Pour une première expérience, il n’y a pas de quoi rougir. La promesse du  Président Roch Kaboré sera tenue. Mais les différents acteurs doivent tirer les leçons nécessaires pour rectifier le tir en vue des élections de 2025.  Sans passion. Sans acrimonie. Le vote de la diaspora ne doit pas faire l’objet d’un marchandage politique. C’est un droit constitutionnel qui lui est reconnu. Toutes les conditions doivent donc être réunies pour qu’elle puisse en jouir dignement et librement.

 

Jérémie Yisso BATIONO

Enseignant Chercheur

OUagadougou

 

 

Soyez le premier à commenter sur "Enrôlement de la diaspora : Il n’y a pas de quoi rougir"

Laissez un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.


*

2 × deux =