Présidentielle française – Burkina : “Oui, et alors ?”

Au Burkina Faso, le scrutin français est observé avec beaucoup de distance. Politique et société civile témoignent de leur intérêt mesuré.

En octobre 2014, contre toute attente et sous les caméras du monde entier, les Burkinabè changent le destin de leur pays et font tomber Blaise Compaoré. Un leader politique pourtant largement soutenu par la communauté internationale dans son ensemble, la France en particulier. Par conséquent, même si le président actuel Roch Marc Christian Kabore, ancien opposant, est proche de Paris où il a d’ailleurs été reçu il y a quelques jours à l’Élysée comme d’autres chefs d’État africains, la population, elle, garde ses distances. « Nous regardons l’élection présidentielle française avec indifférence pour la simple raison que, quel que soit le candidat élu, il ne changera pas la politique africaine de la France », affirme Mamadou Kabre, président du Parti républicain pour l’indépendance totale (PRIT) LANAYA (honnêteté), membre de la coalition de l’opposition politique

À quand la rupture ?

Pour ce parti qui se dit « sankariste » et de courant communiste, les relations entre la France et l’Afrique n’ont guère évolué depuis les indépendances, autrement dit le continent reste « la vache à lait » de l’ancienne métropole. Rappelant les propos du général de Gaulle, «  la France n’a pas d’amis, elle a des intérêts  », il poursuit ainsi : « Si la France a des intérêts, les autres ne sont pas privés d’intérêts. Il faut que les nouveaux rapports entre la France et ses anciennes colonies soient de coopération mutuellement avantageuse. S’ils doivent rester à sens unique, il faut y mettre fin comme le demandait le président Thomas Sankara. » Et de souligner au passage que François Hollande ne s’est pas déplacé au cours de son mandat au Burkina. « Si les relations entre la France et le Burkina Faso étaient sincères, je crois qu’après l’insurrection que notre pays a connue, le président François Hollande serait venu dans notre pays pour rendre hommage au peuple qui s’est battu pour l’avènement de la démocratie. Pour moi, il faut une rupture ferme entre la métropole et ses anciennes colonies parce que nos pays ont des ressources qui peuvent nous permettre de vivre sans l’apport d’aucune puissance, qu’elle soit française, américaine ou anglaise. »

 
 Le rôle renforcé de la société civile

Et cette rupture, à défaut d’être menée par les leaders français et africains, doit être portée par la société civile, la jeunesse africaine en particulier ainsi que le soutient Sams’k le Jah, cofondateur du mouvement le Balai citoyen. Une organisation de la société civile qui a mobilisé pendant « la révolte populaire » d’octobre 2014. Sans rendre les armes jusqu’à présent. « La France a beaucoup de liens avec nos pays et tout ce que nous souhaitons, c’est que ses liens soient des liens francs et amicaux mais, malheureusement, c’est beaucoup plus des liens d’intérêts comme l’avait dit le général de Gaulle, à savoir que la France n’a pas d’amis, elle n’a que des intérêts. Aujourd’hui, la jeunesse africaine comprend de plus en plus où se trouvent ses intérêts. Pour nous, l’élection qui se prépare en France regarde les Français en priorité, nous la suivons certes, mais notre priorité, c’est la défense de nos intérêts. Nous, les jeunes Africains, savons que nos intérêts se trouvent dans une vraie rupture avec ce passé colonialiste. » Et d’observer, positivement, les débats actuels autour du franc FCA. « Il faut poursuivre ce combat et le gagner ! » poursuit-il.

« On ne peut compter sur aucun candidat »

Un combat à mener sur la scène africaine. Même si certains candidats français promettent, en concertation avec les Africains, de réviser les rapports entre la France et l’Afrique. « On ne peut compter sur aucun candidat français, que sur nous-mêmes. Ces déclarations de rupture tant annoncées sont des discours électoralistes. En vérité, les politiciens sont tous les mêmes, quel que soit leur bord politique. Norbert Zongo (célèbre journaliste burkinabè assassiné en 1998) l’a dit, ce n’est pas la faute au voleur de te voler mais ta faute à toi de te laisser voler. » Et à son tour de se référer à Sankara, éternel leader pour les Burkinabè. « Le président Sankara disait dans l’une de ses interviews que la France n’a pas encore compris l’Afrique. Il est temps qu’elle comprenne l’Afrique. Aujourd’hui, nous sommes des héritiers de Sankara. Et la France a intérêt à comprendre la dynamique qui se passe sur le continent africain. Quand on s’organisait ici pour dire à Blaise de ne pas modifier la Constitution, il avait le soutien de la France. C’est parce que la jeunesse est descendue dans la rue pour obliger Blaise à partir que la France, vers la fin, a commencé à écouter la jeunesse. Il faut comprendre que le temps où les Africains attendaient tout de la France est passé. Aujourd’hui, il faut que ce soit les jeunes Africains qui décident de ce qu’ils veulent pour l’Afrique, pour eux-mêmes. »

L’heure est à la mobilisation de la jeunesse africaine

Et dans le pays qui célèbre depuis plus de 40 ans le cinéma africain à travers le Fespaco, l’avant-première du film Bienvenue au Gondwana, signé de l’humoriste Mamane, a fait l’objet de bien des débats. Présent à la projection, le président Kaboré a déclaré : « C’est un film qui interpelle aussi bien la communauté nationale que la communauté internationale sur le rôle qu’il faut jouer dans la transparence dans les élections. C’est dire que dans toute élection, c’est le peuple qui doit avoir le dernier mot et faire de la bonne gouvernance politique un enjeu majeur si nous voulons développer nos pays. » Des propos loin d’avoir convaincus Sams’k. Pour ce dernier, « qui exclut les politiciens de tous bords », l’heure est à la mobilisation de la jeunesse africaine. Seule alternative pour un nouveau rapport de force entre le continent et l’ancienne puissance coloniale. « Les politiciens sont tous les mêmes. Il appartient maintenant à la jeunesse africaine de s’organiser. Nous devons travailler à avoir des institutions fortes qui doivent reposer sur une jeunesse africaine organisée dans des cercles de la société civile, des cercles politiques ou économiques. Il faut former de grands et puissants groupes pour arriver à nous imposer. Les pères fondateurs de l’Union africaine ont posé les bases. Il y a des dirigeants africains qui avaient des idées mais qui ont été éliminés parce qu’ils étaient isolés. Aujourd’hui, à l’intérieur du Burkina Faso, les organisations de la société civile travaillent à se constituer en fédération. Au-delà du Burkina, nous avons une dynamique qui se met en place avec des frères du Congo, du Burundi, du Sénégal, du Mali, de la Côte d’Ivoire… » Le mouvement est donc en marche… Libre à la jeunesse française de le suivre.

 Ibrahima Sanou/LepointAfrique

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