Diplomatie: Pourquoi le Qatar est-il détesté de ses voisins?

  Les frontières fermées, les relations diplomatiques rompues… Le Qatar, mis au ban par l’Arabie saoudite et ses alliés, se retrouve bien isolé dans le golfe persique. Officiellement, on lui reproche un soutien au terrorisme. En réalité, c’est bien plus compliqué…

Mais qu’a donc fait bien pu faire le Qatar ? Ce lundi, ses plus proches voisins, l’ Arabie Saoudite, Bahreïn, les Emirats arabes unis (EAU) et le Yemen mais aussi l’ Egypte, ont tour à tour rompu les relations diplomatiques avec le richissime émirat. Les trois premiers pays cités vont jusqu’à fermer leurs frontières terrestres, aériennes et maritimes avec Doha.

Les conséquences sont lourdes. Plusieurs compagnies aériennes suspendent à compter de ce mardi leurs vols en provenance ou vers le Qatar. Les citoyens qataris ont 14 jours pour quitter l’Arabie Saoudite, l’EAU ou Bahreïn. Et les ambassadeurs, 48 h seulement. 20 Minutes fait le point sur ce qui ressemble fort à une déclaration de guerre.

Cette crise diplomatique dans les pays du Golfe est-elle partie pour durer ?

Le politologue Nabil Ennasri, directeur de l’ Observatoire du Qatar, répond « oui » sans hésiter. Le Qatar, comme les pays qui le mettent au ban aujourd’hui [à l’exception de l’Egypte], font partie du Conseil de coopération du Golfe (CCG), l’équivalent de notre Union européenne, créée en 1981. La CCG ne traverse pas sa première crise diplomatique. En 2014 déjà, l’Arabie Saoudite, Bahreïn et les EAU avaient retiré pendant un an leurs ambassadeurs en poste au Qatar pour protester contre le soutien présumé de Doha aux Frères Musulmans lors du renversement du chef d’État Egyptien Mohamed Morsi. « Cette fois-ci, la mise à l’écart est si forte qu’il ne s’agit plus seulement d’une crise diplomatique mais d’une quasi-déclaration de guerre, poursuit Nabil Ennasri. C’est d’autant plus surprenant qu’il y a peu encore, les relations semblaient bonnes entre l’Arabie Saoudite et le Qatar. Le roi Salmane d’Arabie saoudite avait fait une visite triomphale à Doha au Qatar en décembre dernier et le prince Tamim [émir du Qatar] se rendait régulièrement en Arabie Saoudite. »

Que reprochent officiellement l’Arabie Saoudite et ses alliés au Qatar ?

L’Arabie Saoudite et ses alliés accusent le Qatar de « soutien au terrorisme ». L’émirat « accueille divers groupes terroristes pour déstabiliser la région, comme la confrérie des Frères musulmans, Daesh et Al-Qaïda », argumente un responsable saoudien dans un communiqué repris par l’AFP ce lundi.

Nabil Ennasri comme Karim Sader, consultant spécialiste du Moyen-Orient et maître de conférence à l’université Saint-Joseph de Beyrouth, et Antoine Basbous, directeur de l’ Observatoire des pays arabes, invitent tous trois à prendre du recul vis-à-vis des raisons officielles avancées. Karim Sader y voit surtout un prétexte, « la partie immergée de l’iceberg qui cache des désaccords plus structurels et plus profonds. »

 

Les trois politologues n’apportent pas plus de crédit à des déclarations pro-iraniennes prêtées à l’émir Tamim publiées le 24 mai dernier par l’agence de presse officielle qatari. L’émir aurait qualifié l’Iran, ennemi juré de l’Arabie saoudite, de « puissance islamique régionale qui ne peut pas être ignorée » et conféré le statut de « mouvement de résistances légitimes » au Hamas ou au Hezbollah [milice libanaise pro-iranienne]. Le Qatar avait rejeté immédiatement les déclarations prêtées à son émir se disant victime de hackers. Cela n’avait pas empêché le déclenchement d’une forte campagne anti-doha dans les pays du Golfe. « Là encore, il s’agit d’un prétexte bancal avancé par l’Arabie Saoudite et ses alliés pour justifier ses mesures contre le Qatar », estime Nabil Ennasri.

Pourquoi, alors, le Qatar dérange-t-il ?

Puisque les raisons officielles sont bancales, il faudrait voir alors dans la mise au ban du Qatar une tentative de l’Arabie Saoudite de discipliner ce petit émirat très turbulent sur la scène diplomatique internationale. « Le Qatar, c’est seulement 250.000 autochtones, rappelle Antoine Basbous. Mais l’émirat, qui s’est fortement enrichi en exportant son gaz, veut peser sur la scène internationale en jouant une partition qui n’est pas celle adoptée par ses pays voisins. »

Nabil Ennasri et Antoine Basbous renvoient notamment au Printemps arabe, ce mouvement de contestations populaires qui a secoué plusieurs Etats du Maghreb et du Proche Orient à partir de décembre 2010. « Le Qatar a profité de ce moment historique pour faire avancer ses intérêts en soutenant des mouvements populaires qui tentaient de renverser des régimes autoritaires en place », explique Nabil Ennasri. Doha a ainsi apporté son soutien aux Frères musulmans dans leurs percées politiques en Tunisie, en Libye et en Egypte. De quoi mettre en colère l’Arabie Saoudite et les EAU qui avaient noué des liens forts avec les régimes en place et craignaient une propagation de la contestation à leurs pays.

Karim Sader met aussi l’accent sur un deuxième clivage fort entre le Qatar et ses voisins :l’Iran. « C’est à mes yeux ce qui est le plus reproché aujourd’hui au Qatar, sa complaisance à l’égard de l’Iran, considéré par ses voisins comme l’ennemi absolu, explique-t-il. Le Qatar partage avec l’Iran des intérêts stratégiques, notamment un gisement gazier offshore. Les deux pays ont tout intérêt à s’entendre. »

Le discours de Donald Trump au sommet de Riyad, le 21 mai dernier, a-t-il précipité la crise ?

Karim Sader n’a aucun doute sur ce point. « Dans son discours, Donald Trump a rompu avec la politique que menait Barack Obama au Proche-Orient », explique-t-il. Quand son prédécesseur prônait le dialogue avec l’Iran, Donald Trump, lui, a exhorté la communauté internationale à isoler l’Iran, ce qui a forcément ravi l’Arabie Saoudite et les EAU, les deux principaux acteurs du front anti-iranien. « C’était d’une certaine façon donner les pleins pouvoirs à l’Arabie Saoudite, lui donner carte blanche pour resserrer les rangs au Proche Orient », poursuit Karim Sader. L’Arabie Saoudite en profite aussi pour faire le ménage à ses frontières.

Le minuscule mais richissime Qatar souffrira-t-il de sa mise au ban ?

Son quotidien sera en tout cas fortement chamboulé. C’est déjà une question de géographie. Le Qatar n’a de frontières terrestres qu’avec l’Arabie Saoudite qui vient d’annoncer leurs fermetures. « Les Emirats, l’Arabie Saoudite et Bahreïn ont aussi fermé leurs espaces aériens, rappelle Antoine Basbous. Les avions seront obligés de faire d’importants détours pour atterrir ou décoller à Doha. C’est très pénalisant. Le Qatar perdra beaucoup d’énergie. » Le détroit d’Ormuz n’est pas encore fermé, si bien que le Qatar peut encore être ravitaillé par voie maritime et exporter ses productions de gaz et de pétrole. « Mais le Qatar a les moyens de réagir, estime Nabil Ennasri. Elle pourrait par exemple se tourner plus encore vers l’Iran au point d’en faire son allier stratégique. »

Fabrice Pouliquen/20minutes.fr

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